Mute
- Anna gnfl
- 29 oct. 2021
- 7 min de lecture
Brrrrr, sacré froid !
Une fois dans la voiture, je frottais mes mains entre elles pour les réchauffer puis je mis la clé sur le contact pour me réchauffer. Malgré la vieille Chevrolet chaude, tous mes pull-overs et menteaux, le froid de cet hiver 88 était particulièrement mordant et je me les gelais. Je pris alors la route prudemment pour rentrer chez moi, dans ma petite maison campagne loin de tout.
En quittant la ville, le paysage était sombre et le soleil avait déjà disparu derrière la forêt de pins si sombre qu'on dirait qu'il s'agit d'une scène de film d'horreur. La faible musique populaire qui s'échappait de l'auto radio me faisait bouger les doigts sur le volant et sourire doucement. J'adorais refaire le monde en conduisant, cela m'offrait toutes les possibilités de tout réinventer. Imaginez des histoires roccembolesques avec mon environnement pour décor était ce que j'adorais faire. Je tenais d'ailleurs un carnet avec quelques unes de mes histoires qui me suivait partout où j'aillais et cette manière de m'exprimer qui m'était particulière en comblait une autre.
Encore souriante et dans mes pensées, je ne remarquais pas le beau cerf qui s'était fait fier devant le pare-choc de la voiture, juste avant qu'elle le percute et ne le tue sur le coup. Ma tête tournait, désormais, dans l'habitacle abîmé de la voiture fumante puis je realisais. Je venais d'avoir un accident loin de chez moi, j'étais seule au milieu de nulle part, en pleine nuit, en plein hiver.
Le constat me fit soudainement monter les larmes. Larmes de peur ? De colère ? De fatigue ou de confusion, je ne savais plus trop.
Je sortis alors difficilement de la voiture, agrippant ma sacoche contenant mes papiers -mon carnet- et regardai le ciel. Il était noir, tacheté d'étoiles. je lui demandais silencieusement 'pourquoi maintenant' et il me répondit le même silence. Je me mis alors à marcher, au bord de la route vers ce que j'avais deviné être l'étoile du nord, espérant trouver une maison, une ferme, à mille lieues de ce nulle part. •
Les heures passaient, je le voyais au ciel ; il tournait aussi lentement que je marchais vers je-ne-sais-où. Cette impression d'être vraiment seule au monde est vraiment étrange. Vous savez, il arrive à de nombreuses personnes de se sentir seules, à part pour X ou Y raison, un sentiment d'être décalées des autres, qu'on ne parle pas la même langue sociale. Mais ce sentiment est exacerbé quand il est psychologique et physique. La solitude est un sentiment compliqué qui peut assaillir le plus entouré des artistes comme la plus seule des personnes âgées. Elle n'a aucune règle et aucu-
Je fus incapable de finir ma phrase mentale quand dans mon champ de vision, je pu voir un lampadaire. Tout seul, lui aussi. Mais plus je m'approchais à la hâte, moins il était seul et une station service se dessina dans l'obscure lumière jaune.
'Sauvée ?', ai-je pensé, peut-être. Espérons qu'elle soit ouverte 24h sur 24.
Resserrant la pauvre sangle en cuir de la sacoche entre mes mains gantées, la distance s'amenuisait entre moi et le monde.
Je tirais alors la lourde porte du 7 eleven, failli m'étaler sur une plaque de vergla mais me rattrapa de justesse à l'autre porte, avant de définitivement rentrer au chaud. Le néon au dessus de la caisse grésillait, illuminant une fois sur deux le visage de la jeune femme devant moi qui, après le vacarme que je venais de faire, m'observait. Je me tenais, le souffle court et congelée à quelques pas d'elle.
"- Bonsoir madame", me fit elle.
Le silence répondit avant que je ne réagisse et sorte mon bloc note et un crayon de bois de ma sacoche tout en m'approchant de l'installation de caisse du magasin.
« Bonsoir également, je suis navrée de ne pouvoir vous répondre seulement par écrit, il va m'être difficile de faire autrement. »
Elle me questionna avec son froncement de sourcils.
« Je suis muette. »
Ses yeux s'agrandirent, elle souria et signa en même temps que ses paroles « Je peux communiquer avec vous de cette manière, sinon. Est-ce plus pratique pour vous ? ».
Ce fut à mon tour de me questionner.
« Vous savez signer ? »
"- Mon grand-père était sourd, j'ai appris à communiquer avec lui très jeune."
L'étonnement se lit sur mon visage, ma bouche formait un O.
« D'accord, effectivement, cela serai pratique. J'ai un service à vous demandez. »
"-oui?"
« Je viens d'avoir un accident de voiture à quelques kilomètres d'ici en percutant un cerf, serait-ce possible d'appeler une dépanneuse dès qu'elles seront disponibles ?»
Son visage se mua en expression d'horreur et elle sorti de derrière le contoir. Un tout petit bout de femme dans la vingtaine, aux longs cheveux châtains foncés bouclés et au visage inquiet se précipita vers moi.
"-Oh mon dieu, vous allez bien ? Aucune douleur ? J'imagine que la voiture est fichue, mais et vous ?"
« Je crois que je vais bien, même si je dois être un peu sous le choc... Mais il est clair que ma voiture, elle, est très mal en point.»
"- Asseyez-vous! Dit elle en déplaçant son tabouret de caisse. Voulez-vous de l'eau ? À manger ?"
« Oh, ne vous inquiétez pas autant, s'il vous plaît » signè-je en faisant la moue. «Cependant, je veux bien un verre d'eau fraiche, s'il vous plaît.»
Elle disparue bien vite dans ses rayons et je la vis revenir avec une petite bouteille sortant du frigo.
"- Aussi fraîche que le temps." tendit-elle, m'adressant un clin d'œil souriant. Vous pouvez boire un peu, pendant que j'appelle une dépanneuse disponible la nuit."
« Merci, devrais-je vous la règler ? »
"- Non! Surtout pas !" Dit-elle en cramponnant le téléphone à côté de la caisse.
Je la regardais dialoguer sérieusement avec un homme apparemment capricieux, au bout du fil, qui ne voulait pas se déplacer avant sept heures du matin. Triturant ses petites lunettes grises et ovales, elle me faisait sourire. Je me permis de détailler son joli visage rond pendant qu'elle ne me regardait pas. Ses traits étaient fins et semblables à ceux des mannequins de magazines à la mode. Elle finit par croiser mon regard observateurs puis je lui adressais un sourire. Une fois le téléphone raccroché, elle posa ses fines mains sur la caisse, tendis ses bras et souffla.
"-Ce grossier homme ne veut pas se déplacer plus tôt que sept heures du matin, alors qu'il est vingt-deux heures, Elle pesta. Espèce de fainéant !"
« Nous aurons donc du temps pour discuter ! Vous savez que vous auriez pu faire carrière dans le cinéma ?» je signais en réponse. «Vous auriez le talent et vous êtes jolie.»
À la vue de mes signes, je vis son visage s'empourprer avant qu'elle ne se couvre le visage à l'aide de ses mains aux ongles vernis de bleu nuit.
"-Ne dites pas ça, voyons ! J'ai tout un tas de défauts. Je suis grossière en société, mal fringuée, éduquée par un ivrogne veuf et qui m'a envoyé au magasin à sa place dès que j'ai eu l'âge de faire marcher une caisse enregistreuse, je suis loin interressnte au point d'être actrice !"
« Vos "défauts", comme vous dites sont votre authenticité. Je suis certaine que vous êtes interressnte. Êtes-vous sensible à l'art, Madame....»
"-...Murielle." Souffla-t-elle avec un léger sourire. "-Et vous?"
« Je m'appelle Lisy, Madame Murielle.»
"- Comme c'est joli ! Oh et arrêtons de nous vouvoyer, nous devons avoir le même âge, non ?"
Je donnais mon accord avec un hochement de tête. C'est comme ça qu'on s'est retrouvées toutes deux assises à même le sol, la sacoche au sol, adossées contre la caisse, à discuter à travers signes et voix, de nos vies, celles d'incomprises, comme si on se connaissait depuis des années mais que l'on ne s'était pas vues depuis une éternité. Si bien que l'on fini par s'endormir, une tête posée sur l'épaule, une tête posée sur tête, les cheveux rebels de l'une caressant la joue de l'autre, une bouteille de Jack Daniel's entamée et quelques papiers de barres de céréales, traînant entre nous.
Je sortis de mon doux sommeil Quelques heures plus tard alors que les néons étaient désormais éteints et que seul les lampadaires jaunes éclairaient la boutique et le visage endormi de Murielle, dont la joue était déformée par mon épaule. Un sourire fendit mes lèvres tandis que l'envie de lui embrasser le haut du front prenait place en moi. Je ne pu y résister bien longtemps et baisa sa peau tiède de toute la douceur dont je fut douée. Je n'arrivais pas à quitter mes yeux d'elle, cet être si beau. Son visage se froissa soudainement, avant quelle n'ouvre doucement les yeux et ne trouve les miens et ne les quittent plus.
Dans son regard vibrant j'arrivais à me voir comme je ne m'étais jamais vue auparavant. Une belle femme, intelligente, bien plus que la muette du service comptabilité du journal dans lequel je travaillais. Et je vis qu'elle se vit en mon regard autrement que ce que les gens avaient l'habitude de dire d'elle.
Mon regard bleu se dirigea vers se fines lèvres rosées qui n'avaient l'air d'attendre que les miennes. Un nouveau coup d'œil vers son regard noisette me le confirma et je posa vivement mes lèvres sur les siennes, comme si elles s'étaient manquées. La douceur guidait notre échange. Ses mains parcouraient mes cheveux courts tandis que les miennes découvraient sa taille, pour la rapprocher toujours plus de moi.
Ma langue lécha alors sa bouche qui m'acceuillit avec joie et s'ouvrit pour rejoindre sa jumelle. La pudeur partait au fil des vêtements et la sensualité régnait en maître tout au long de l'échange. Tout au long de l'amour que nous avons partagé par nos lèvres, nos bouches, nos seins et nos doigts humides. La montée des souffles discrets se sont échappés comme des "je t'aime" sauvages, les regards chauds se sont propagés dans le corps comme un deuxième septième ciel après le premier extase, libérant un coup d'amour foudroyant.
Au petit matin, une couverture nous recouvraient nous, nues et encore sous emprises du filtre d'amour de l'une et de l'autre.
Se quitter fut difficile. Déchirant, même. Je n'arrivais pas à regarder son si joli visage triste et sa main posée sur la vitre battue par la pluie, pendant que le mien était battu par les larmes d'un amour nocturne que je n'oublierai sans doute jamais.
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